Mythique Baikal

Préambule

Depuis Irkoutsk, nous avons effectué de nombreuses recherches pour tenter de rendre notre expédition au lac Baïkal la plus personnelle possible. Mer d’eau douce sacrée pour ses premiers habitants, les Bouriates d’origine mongole, le lac Baïkal est reconnu au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1996. En effet, sa profondeur pouvant atteindre jusqu’à 1637 m, il représente la plus grande réserve d’eau douce liquide de surface au monde. De plus, le lac est si transparent que l’on peut y voir jusqu’à 40 mde profondeur. Surnommée « perle de Sibérie », cette destination insolite devient de plus en plus touristique. Aussi, après avoir refusé les propositions des agences et auberges de jeunesse concernant transport, hébergement et excursion à des prix effarants, nous nous lançons une fois de plus, à corps perdu dans la méthode Routenvrac : nous renseigner à la source sur les sites russes en nous aidant des locaux pour téléphoner le cas échéant et surtout prendre quelques risques en ne réservant que le strict minimum, autrement dit le transport aller.

Oh la vache !

Ce vendredi 24 novembre, à 10h du matin, nous quittons Irkoutsk à bord d’un minibus à destination de l’Ile d’Olkhon. Nous parcourons plus de300 km, empruntant des routes chaotiques. L’absence de crevaison nous parait même étonnante tant les pneus sont malmenés. Le minibus n’étant pas chauffé, nos doigts de pieds commencent à nous chatouiller sérieusement. Plus nous avançons et plus nous avons le sentiment de nous enfoncer dans la Sibérie profonde. Finalement, nous ne voyons même pas passer les 6h de voyage tant les paysages nous tiennent en haleine. Arrivés au port, le chauffeur nous expulse vivement pour tenter de s’arracher la meilleure place sur le ferry. Nous en profitons pour faire la rencontre d’une vache, semblant appartenir aux services secrets. Elle nous renifle un moment afin de vérifier le contenu de nos bagages puis nous quitte, bredouille. La voie est libre. La traversée du lac est fraîche, c’est le moins que l’on puisse dire. A sa surface, on voit déjà flotter des blocs de glace. Cet hiver, comme chaque année, le lac sera entièrement gelé. Mlle Cartensac ne sortira pas son maillot de bain cette fois-ci.

Nikita avec Luc…

L’Ile d’Olkhon mesure 71 km de longueur. Le chauffeur nous dépose à  une trentaine de kilomètres du ferry-port, dans la ville de Khuzhir. Il n’y a pas un chat dans les rues mais une horde de chiens. Nous tentons notre chance en suivant Luc, un routard belge qui a réservé un lit à l’auberge Nikita. Les négociations y sont rudes, mais nous sommes décidés à profiter de notre séjour et nous acceptons rapidement les conditions. Notre chambre est tout confort et pour nous seuls ! Un vrai petit paradis.

Nous prenons nos repas à la cantine et faisons la connaissance de William, un autre belge et Léonard, un étudiant français de St Petersbourg, arrivés la veille. Une école vient animer la soirée. Nous observons, incrédules, une cérémonie d’anniversaire aussi touchante que hilarante. Autour d’une bière, William et Léonard usent d’arguments très convaincants concernant le tour en jeep proposé par l’auberge. C’est décidé, demain, nous partirons en excursion au Nord de l’île avec Luc.

Reine de la glisse

Le petit déjeuner est à la hauteur de la journée qui nous attend : œufs au plat, porridge et pancakes. Notre chauffeur n’arrivant qu’à midi, nous disposons de la matinée. La veille, Léonard nous a informé de la possibilité de louer des patins à glace. Mlle Cartensac ne pense plus qu’à cela et part à leur recherche. Cela tombe bien, voici notre homme. Nous arrêtons René, un jeune Afghan, employé chez Nikita depuis près de 6 mois : « Ce serait possible de faire du patin à glace ce matin ? » Enchanté, il nous propose même de nous accompagner sur le lac gelé.

Après 20 bonnes minutes de marche sous la neige, René s’arrête et chausse ses patins. Nous nous regardons tous les deux, interloqués : autour de nous, une étendue de neige, rien qui ne puisse ressembler à une patinoire. René fait quelques pas, puis s’élance sur un lac invisible. Mlle Cartensac s’inquiète un peu : « Ca ne doit pas super bien glissé. Il doit sûrement y avoir pleins de trous… » Mais à peine les patins enfilés, elle s’élance à son tour sur la neige, dévoilant sous ses lames, une glace plus pure et lisse qu’elle n’en a jamais vue. « J’en ai rêvé toute ma vie ! » La patinoire s’étend sur au moins 100 mètres. Mr Routenvrac la rejoint et ne tarde pas à prendre ses aises. La vue est imprenable et les sensations plus intenses que jamais. Après quelques cabrioles, René sort une balle de tennis et nous propose une partie de foot.

« L’hiver, c’est tout le lac qui est gelé » explique-t-il à Mlle Cartensac. « On joue au hockey tous les jours, sur des centaines de mètres d’eau gelée, tu imagines ? On organise même des matchs contre une autre ville » – « Ce doit être absolument magique » pense Mlle Cartensac, une profonde pensée pour ses patineurs en herbe qu’elle a laissés en France pour entreprendre ce grand voyage. Mr Routenvrac quitte les patins pour aller prendre quelques photos de la plage, à 100m à peine de là. Puis, à contrecœur mais épuisée, Mlle Cartensac se déchausse. La journée ne fait que commencer.

Ulyanovsky Avtomobilny Zavod (UAZ)

Chez Nikita, la jeep est arrivée. Sergey, notre chauffeur ne parle pas anglais mais communique par son sourire et quelques mots lui suffisent à indiquer les places importantes de son excursion. Sur l’île, seules les jeeps russes, semblant sortir tout droit d’une autre époque, circulent, et nous en saisissons très vite la raison. Il n’y a pas de route ; à peine un chemin tracé dans la neige, emprunté quotidiennement par les 4X4. Nous traversons collines, forêts et déserts. Très rapidement, Sergey nous plonge dans le bain en nous offrant un joli tête-à-queue. Plus de peur que de mal. Cependant, notre chauffeur gagne aussi vite notre confiance. Il maîtrise sa jeep et ne manque pas de prudence. Il conduit sur la neige comme un marin son bateau, la jeep flottant parfois à sa guise, le chauffeur reprenant les reines aussitôt après. Sergey est entièrement à notre disposition. Notre seule contrainte est de rentrer avant la nuit. Aussi, s’arrête-t-il de lui-même pour nous faire découvrir des endroits fabuleux et répond à nos demandes lorsque nous souhaitons faire des haltes inopinées.

 Nous restons sans voix devant les goulags, imaginant avec douleur les conditions de vie, subies ici par des centaines de milliers de déportés au cours du siècle dernier. Comment pouvait-il passer l’hiver, celui-ci pouvant afficher jusqu’à -50°C…

En route, nous croisons de nombreuses maisons mais aussi des villages de vacances en construction, laissant présager un futur très touristique pour l’île, qui tient certainement sa préservation actuelle de par son climat rigoureux l’hiver. En remontant les 40km qui nous séparent de l’extrémité nord, les montagnes se dessinent et la neige se fait de plus en plus abondante. Sergey quitte les sentiers et s’élance dans la neige fraîche. Nous ne croisons plus personne, nous sommes seuls dans la nature. Au loin, il nous montre le village de sa famille. Lorsque nous descendons à nouveau du 4X4, la neige recouvre nos pieds. Nous courons à travers les collines. « Voici les rochers des 3 frères, et de l’autre côté, la dent du cowboy ».  Près de ces rochers, baignés de légende, les totems chamans exhibent leurs rubans colorés.  Un peu plus loin encore, Sergey nous annonce « le rocher des amoureux », un rocher d’une forme très originale. Arrivés tout en haut, nous respirons à pleins poumons le grand air et profitons de sa vue unique.

Au bord du précipice, nous prenons plaisir à regarder au loin où se confondent ciel, sommets des montagnes et lac, puis nous jetons rapidement un coup d’œil dans le vide. En redescendant, l’euphorie nous entraîne. Nous courons dans la neige, prenant soin de fouler à chaque pas une neige nouvelle. D’un coup de pied, Mr Routenvrac envoie valser de la poussière de flocons.

Dans la jeep, Sergey nous a préparé un repas typique : Oumoul, poisson du Baïkal et frites. Luc, notre ami belge, plaisante : « C’est tout de même ironique ! Il faut que je sois rendu ici pour manger des frites ! »

Nous reprenons la route. Amusés par les secousses, nous nous agrippons tous les deux aux sièges avant afin de ne pas perdre une miette des descentes grande vitesse, qualifiées de grand splatch par Mlle Cartensac. Celle-ci s’envole au rythme des secousses. A chacune de ses crises de rire, Sergey sourit davantage.

Sur le chemin du retour, nous demandons à notre guide de s’arrêter afin que nous puissions marcher un peu. Nous lui proposons de nous attendre pendant 30min. Pleins de vigueurs, nous descendons tous les trois le long d’une forêt de sapins afin d’atteindre la plage. Ici, sable et galets sont au rendez-vous, et nous restons ébahis devant le mélange de glace et de sable aussi dur et brillant que du verre. Les vagues ont creusé dans la neige de magnifiques ondulations. Nous faisons quelques pas. Le soleil décline lentement et la montre a bien tourné depuis notre descente de la jeep. Il commence à se faire tard et nous nous sommes un peu éloignés. Nous hâtons le pas pensant retrouver au loin Sergey. Arrivés sur notre point de départ, la jeep n’est plus là. 5min plus tard, le voici de retour. Ouf ! Nous ne dormirons pas dehors.

Shaman Rock

Arrivés à l’auberge, nous sommes épuisés. Un dernier tour aux alentours nous permet de découvrir le rocher des chamans, connu pour sa légende.

« Furieux de voir sa fille, la rivière Angara, s’enfuir une nuit vers son bien aimé le fleuve Iénisseï,  le lac Baïkal frappa une vieille montagne pour en détacher une roche. Fou de rage, il la jeta sur sa fille. Celle-ci eut beau implorer, Baïkal ne lui accorda pas sa clémence. Depuis, la rivière Angara laisse couler ses eaux-larmes jusqu’en l’Iénisseï tandis que le Baïkal est devenu morne et effrayant. »

Puis, nous parcourons la ville. Les rues aussi larges que l’avenue des Champs-Elysées nous donnent une impression étrange de vide et d’absence de toute vie humaine. La nuit est tombée, nous rentrons à l’auberge.

Nul besoin de vous dire que le soir, nous nous réjouissons de manger un repas chaud avant de tomber d’épuisement, émerveillés par cette formidable journée. Demain, la route sera longue pour retourner à Irkoustk, prendre le train pour Ulan Ude et rejoindre si possible la Mongolie.

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