A la frontière du Laos

Ce mercredi 22 février, à 4h30, le réveil retentit. Nous sommes tentés de prolonger d’un court instant notre nuit mais… La journée n’appartient-elle pas à ceux qui se lèvent tôt ?… Nous finissons nos bagages et descendons dans le hall de l’auberge pour attendre notre mini-bus. Attendre, patienter, voilà à quelle occupation se résumera notre journée.

Nous quitterons la gare routière avec plus d’une heure de retard et par le plus grand des records, nous parviendrons à notre destination après 13h de route, soit à 19h. Un transfert imprévu, un voyage à travers tout le Cambodge en repassant par le sud, frôlant la frontière vietnamienne à deux reprises,… De quoi faire perdre patience aux autres passagers pour qui, en revanche, le passage de la frontière était compris dans le trajet mais qui devront finalement dormir comme nous à Stung Treng et reprendre la route le lendemain seulement… Stung Treng nous voilà ! Abrutis par le voyage mais prêts pour de nouvelles aventures.

Stung Treng

Nous nous trouvons à présent à 50km de la frontière du Laos. Stung Treng est notre dernière étape cambodgienne. Nous aurions souhaité en profiter pour nous offrir une virée en canoë dans l’espoir d’apercevoir les fameux dauphins d’eau douce mais le planning et les prix affichés par la seule agence de la ville sont sans retour : 80 dollars chacun pour trois heures de canoë et tout autant de transport, nous saurons nous en passer. Alors, installés sur nos fidèles destriers, nous partons à la découverte de la proche campagne.

Le ver et la soie

« Mekong Blue » mentionne un écriteau au bord de la route. « Ils en parlent dans le guide. C’est une usine de soie. On y jette un coup d’œil ? » Nous pénétrons dans une grande cour. Autour de nous, des bâtiments où tous les ouvriers semblent fort occupés à leurs tâches respectives, une garderie d’enfants particulièrement vive et un café désert. Notre présence ne semble ni surprendre ni inquiéter personne. Nous patientons un moment. Enfin, un homme vient à nous et se présente : « Je suis le directeur de cet établissement. Puis-je vous faire visiter ? » Avec une sympathie qui ne nous étonne plus, l’homme nous entraîne à travers les différents espaces de travail, nous expliquant chaque étape de la création  des tissus en soie. Nous traversons la route pour entrer dans le hangar où sont élevés les vers. Nous découvrons l’animal de sa taille la plus petite, jusqu’à son cocon. C’est ce cocon qui sera ensuite exploité par l’usine. Tout proche du hangar, des hommes sont afférés dans un grand chantier. « Nous construisons un pensionnat. Ici, il y aura l’école, là une bibliothèque, puis, de l’autre côté les dortoirs, les salles de bain,… » nous explique-t-il fièrement. « Et quel public accueillerez-vous ? » s’intéresse Mlle Cartensac. « Des enfants pauvres. Il y a beaucoup de parents qui n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants à l’école. Ici, ils pourront étudier sans  aucun problème. »

Nous traversons à nouveau la route et entrons dans la salle de travail. Nous découvrons le travail méticuleux du tissage, étape par étape, machine après machine. « Ces machines servent à filer la soie. Puis, ces femmes passent des heures à installer les fils sur les métiers à tisser. Ici encore, le travail est minutieux, il s’agit du tissage. » Mr Routenvrac observe attentivement la technique employée pour tisser les différents motifs : « C’est impressionnant ! » Par ailleurs, nous sommes surpris d’entendre autour de nous des enfants jouer, rire et courir librement, créant une atmosphère douce à cette salle de travail. Le directeur semble un peu occupé et nous presse doucement. « Je vous conduis à la cuisine, vous pourrez voir comment nous obtenons les différentes couleurs ». Arrivés dans la cuisine extérieure, nous saluons les deux femmes qui, spatule à la main, se chargent de teindre la soie en différents tons. « Vous voyez ici, après la cuisson, la soie est bien plus douce » explique-t-il encore en tendant les différentes textures à Mlle Cartensac.

En passant devant la garderie, Mlle Cartensac demande la permission de prendre quelques photos pour nos jeunes potentracs. « Je finis la visite et vous pourrez revenir après, sans souci » répond-il avec un grand sourire. Il nous conduit enfin dans la salle d’exposition des pièces finies : écharpes, sacs à main, portefeuilles, coussins,… De vrais petits bijoux. Le travail que nous venons d’observer donne toute sa valeur à ces produits exceptionnels. « Combien d’heures de travail pour cette écharpe ? Sans doute une semaine… On ne se rend pas compte. La valeur du temps passé ne peut même pas être prise en compte dans ces prix très corrects… » C’est ici que notre guide finit par nous abandonner. Nous retournons du côté de la garderie pour prendre quelques clichés très intéressants. Celle-ci est toute aménagée et équipée pour apprendre l’anglais aux enfants des ouvrières. Nous observons un moment les enfants jouer dehors. La classe est finie, ils attendent l’heure du repas pour rejoindre leurs parents.

Nous nous installons au café davantage pour remercier que par envie de consommer. Notre guide réapparait et s’adresse à Mr Routenvrac : « Excusez-moi, je peux essayer votre vélo ? » – « Avec plaisir » répond celui-ci, heureux de pouvoir rendre ce petit plaisir à notre hôte. Il est midi, l’usine semble s’être vidée d’un coup. Nous déposons notre argent sur le comptoir désert et reprenons notre route en direction de la ville pour déjeuner nous aussi, sensibles par cet accueil aussi discret que chaleureux.

Corriandre fraîche

Après un traditionnel riz frit, repas désormais quotidien, nous retournons sur les routes de campagne, longeant le Mékong sur quelques kilomètres. La soif nous contraint à nous arrêter régulièrement, tant la chaleur devient pesante. C’est ainsi que nous restons un moment à observer une dame âgée, accroupie dans son champ, occupée à nettoyer sa coriandre fraîchement cueillie. Après quelques échanges de regards intrigués mais respectueux, Mlle Cartensac descend le petit escalier qui nous sépare de la femme. « Retirer les mauvaises herbes, ça je sais faire » remarque-t-elle avant de se mettre au travail, accroupie à son tour. La dame ne semble ni offensée, ni surprise, elle accueille simplement ces deux mains supplémentaires. Une fois toute la coriandre plongée dans le sceau d’eau, les deux femmes échangent quelques mots, quelques gestes malentendus mais le sourire les accompagne dans ce dialogue maladroit. Mlle Cartensac remercie, hume une dernière fois ses mains parfumées puis, nous reprenons notre route.

Encore une journée charmante à découvrir ce pays exceptionnel. Ce soir, comblés, nous nous couchons conscients de passer notre dernière nuit au Cambodge.

L’encre au prix fort

Ce matin, nous quittons Stung Treng, traversant le Mékong par le grand pont qui encombre notre vue depuis deux jours. La journée s’annonce rude. Il fait très chaud malgré l’heure matinale. Notre route est particulièrement large et offre très peu de passages ombragés. De plus, les kilomètres défilent à coup de montées et de faux plats. Il en aurait fallu davantage pour nous décourager, d’autant plus que Cadivrac et Culdesac ont décidé de se montrer à la hauteur. Plus lents que d’accoutumés, nous nous faisons une raison et prenons le temps d’observer les paysages, le sucre de palme séchant sur le bord de la route, un vautour nous saluant dans les airs,… 58 kilomètres dans ces conditions, la frontière nous parait loin. Nous avons déjà bu deux litres d’eau chacun, et nous pédalons à présent au mental, tête dans le guidon, tentant de nous faire oublier de ce soleil qui, faisant preuve de zèle, souhaite nous accompagner jusqu’au bout.

Il est midi lorsque nous atteignons enfin la frontière, l’heure avant tout de nous restaurer. Un petit restaurant local nous tend les bras : au menu, nouilles frites et sitcom cambodgien. Ici aussi, c’est « plus belle la vie »! Et que de suspens ! Nous nous amusons à voir tous ces gens, enfants, adolescents et adultes, absorbés par la télévision, rythmés par les mêmes rires, sursauts et émotions.

Il est temps pour nous de nous rendre à l’évidence, nous quittons pour de bon  le Cambodge. L’officier nous salue à peine : « 1 dollar ! » – « 1 dollar pourquoi ? » demande Mr Routenvrac. – « Pour le tampon. » répond machinalement l’officier. – « Ca fait tout de même cher l’encrier, 2 dollars à nous deux… »  Un rapide tour dans le no man’s land, le temps d’admirer une partie de pétanque entre officiers et nous nous présentons au guichet des visas : ce fameux guichet réputé pour ne pas exister et qui pousse les voyageurs à se procurer leurs visas à Phnom Penh. Nous remplissons nos formulaires, accolons nos photos, payons nos 30 dollars chacun,… A présent tous nos potentracs connaissent la chanson. Au moment de récupérer nos passeports, l’officier nous réclame 2 dollars, chacun ! « 2 dollars pourquoi ? » demande Mr Routenvrac.  « Pour les tampons ! » répond l’officier sûr de lui. « Mais c’est que le prix de l’encre a subi une sacrée inflation en 5 minutes ! On te donne 1 dollar chacun si tu veux, mais sûrement pas 2 ! » L’officier insiste. Mr Routenvrac est déterminé : « Ecoute, tu sais très bien que c’est illégal, alors 1 dollar ça suffit comme ça. » L’officier grommelle, marmonne, tamponne un passeport et nous le tend, puis s’attèle au second, réclame encore une fois. Finalement, comme un enfant qui n’a pas été contenté, il nous tend le deuxième passeport tamponné et nous claque la vitre au nez. Un vrai plaisir ces officiers !

« Bienvenus au Laos ! »

A 14h, le soleil n’est toujours pas las de nous en faire baver. Nous tenons le coup malgré tout et repartons de plus belle. Les routes sont toujours aussi désertes de verdure et de civilisation. Nous croisons quelques rares villages nous permettant de faire le plein d’eau. Une grande pancarte nous interpelle. « Regarde, une cascade à 2km ! Qu’est-ce qu’on fait ? On y va ? » propose Mr Routenvrac. « Honnêtement, on n’est plus à 2km près ! On tente ! » Nous bifurquons sur la gauche, suivant les indications, pédalant à toute allure, sans doute happés par l’imprévu de cette découverte. Au bout d’un kilomètre, un panneau « STOP » se dresse près d’une petite baraque que deux motards devant nous ne semblent pas avoir remarqué. Mr Routenvrac a juste le temps de crier  à Mlle Cartensac : « Tu files tout droit ! Tu ne t’arrêtes pas ! » Ca tombe bien, Culdesac est dans sa lancée, prêt pour la montée qui se prépare droit devant. Nous pédalons à vive allure. Derrière nous, une voix nous interpelle : « Stop ! Stop ! » – « J’ai bien l’impression qu’il fallait payer. » s’amuse Mlle Cartensac. – « Payer pour voir la nature ? C’est bien un truc qui m’horripile ! » Et en effet, en haut de la montée, nous découvrons une gigantesque et impressionnante cascade. En revanche, pas un seul aménagement qui justifie une quelconque taxe. Nous garons nos vélos pour quelques minutes et grimpons sur les rochers. Mlle Cartensac, équipée de ses chaussures de marche, s’offre le luxe de s’approcher au plus près et se rince à grandes eaux. « Le bonheur ! Et quelle vue ! » De quoi retrouver le courage pour les 20 prochains kilomètres.

Sur notre retour, nous nous attendons à un barrage en bon et dû forme. « Oh et puis zut ! On fonce ! ». Nous ne prenons pas plus le temps de nous arrêter. Derrière nous, l’agent s’est une fois de plus levé en sursaut de son siège. Au milieu de la rue, il nous hèle. Conscient de s’être fait avoir, il claque des mains, tape du pied et grogne un coup. De quoi le soulager ! Nous rions de notre audace et filons. « Après tout, s’il tient à son argent, il nous rattrapera ! »

Buffle et bikini

20 kilomètres plus loin, nous parvenons à un semblant de village. Nous tournons à gauche et prenons la direction de Ban Nakasong. Cette fois-ci nous voilà quasiment arrivés à destination. Il ne nous reste plus qu’à traverser le Mékong pour atteindre Don Det, la petite île où nous avons décidé de passer la nuit. Le ferry a tout l’air d’un petit bateau de pêche. A nous 4, avec Culdesac et Cadivrac nous occupons la moitié des « sièges ». Nous naviguons, les mains dans l’eau, découvrant tout autour de nous, les 4000 îles. « Et bien, il y a de quoi en faire rêver plus d’un ». Justement, à notre arrivée sur Don Det, à peine 5 minutes plus tard, une foule de touristes se baigne sur la plage. Les voilà les rêveurs, tous de maillots de bain vêtus, sirotant leur bière, allongés dans de grosses chambres à air. Tu parles d’une île laotienne. Où sont les laotiens ? Après tout, un bon bain ne nous fera pas de mal. Après une bonne demi-heure de « on est complet ! » à chaque auberge où nous toquons, nous trouvons un petit bungallow très modeste, vu sur le Mékong. « Parfait ! »

« Quel bonheur tout de même de patauger dans une eau bleue… Cela change un peu de la douche à la casserole ! » Sur la plage, un moine bouddhiste, vêtu de sa toge orange attend son bateau. Son regard « plongeant » sur la plage nous laisse songeurs. Se baigner en maillot de bain est très mal perçu en pays asiatique. On le tolère sur cette petite plage, seule fréquentée par les touristes, toutefois, le décalage est flagrant. Les enfants laotiens, quant à eux, se baignent aux quatre coins de l’île, isolés des touristes.

Ce soir, nous ne faisons pas long feu. Un plat de riz en tête-à-tête à notre auberge nous contentera avant de nous plonger dans les bras de Morphée.

Pssshhhtttt!

L’île est minuscule. Le lendemain en quelques coups de pédales nous en faisons le tour. Nous aurions aimé nous promener d’île en île mais … L’île est seulement reliée par un pont, de construction française, à l’île Don Khon, et chaque passage est salement facturé. Satisfaits de notre court séjour touristique, nous décidons de reprendre la route dans la foulée. Nous remballons nos vélos et reprenons le « ferry » en sens inverse, saluant sur notre passage un buffalo en pleine conversation, sur la plage, avec un bikini.

Pour la première fois, nous chevauchons Culdesac et Cadivrac sans savoir où nous dormirons cette nuit. La première ville, Paksé est à 142 km, impossible à effectuer dans la journée. Lorsque nous nous élançons sur le bitume, il est déjà 14h. « Allez ! En route pour l’aventure ! A la nuit tombée, on frappera à une porte. On ne nous laissera sûrement pas dormir dehors ! » L’idée nous enchante. Le soleil est désarmant mais nous sommes de bonne composition ! A 17h, nous affichons déjà 40km au compteur. Au vu des dénivelés nous sommes assez satisfaits. Si l’on continue comme cela, on pourra finir la route demain sans problème ! « Pssshhhhhhhhttttt !!! » – « Dis donc Cadivrac ! C’est toi qui a fait ça ? ». Mr Routenvrac s’arrête aussitôt. « Ouaou ! Ton pneu a carrément explosé ! » s’exclame Mlle Cartensac. Une écharde de la taille d’un pouce s’est incrustée dans le pneu arrière de Cadivrac… « Et bien je crois que la journée est terminée… »

Mlle Cartensac descend de sa monture, sort de son sac un paquet de biscuits et décide qu’il est l’heure du goûter. « Je n’aime pas réfléchir le ventre vide. » Il y a bien quelques maisons, 200 mètres derrière nous, mais cela ne sauvera pas le vélo. Il ne s’agira pas seulement de changer la chambre à air. Cette fois-ci, les dégâts sont plus conséquents. Il va falloir réfléchir au plan B…

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