Le plateau de Bolaven

Cadi(en)vrac et le plan B

Ce samedi 25 février, à 17h30, résignés devant la situation désastreuse de Cadivrac, nous tendons le pouce, espérant bien malgré nous finir la route en 4X4. De nombreux véhicules nous passent devant en sens inverse, coffres vides, libres d’embarquer quelque touriste égaré. Ne sachant trop où nous nous trouvons ni combien de kilomètres nous séparent de Paksé, nous sommes ouverts à toute proposition, à condition de ne pas revenir sur nos pas. Quelques 4X4 nous passent devant. Nous prenons chaque fois un peu plus de place sur la route, mais chacune de nos tentatives entraîne les automobilistes à faire un écart plus important encore pour nous éviter. La nuit ne va pas tarder à tomber. Nous nous accordons une demi-heure supplémentaire avant de penser au plan « C ». Cette fois-ci Mlle Cartensac change les codes. Elle joint ses mains, suppliant délibérément le conducteur du 4X4 de s’arrêter, pointant du doigt le vélo, joignant les mains à nouveau,… « S’il vous plaît !… » Celui-ci tente tout d’abord de nous esquiver. Puis, vingt mètres plus loin, décide finalement de se ranger sur le bas côté. « Cours ! » crit-elle à Mr Routenvrac qui se dirige vers le véhicule. « Vous allez à Paksé ? Nous aussi, mais mon vélo est cassé. Pourriez-vous nous y conduire ? » La passagère tente de comprendre notre péripétie, entreprend une négociation auprès de son chauffeur puis, nous propose de nous installer dans le coffre. Bien calés entre nos sacs et nos vélos, nous jubilons. Nous allons parcourir les 100km restant dans la soirée, à ciel ouvert et nous pourrons effectuer nos réparations, dès demain matin, depuis Paksé. Que demander de mieux ? La femme s’assure que nous sommes bien à notre aise avant de reprendre place. En route !

Marcher à côté de son vélo, voilà le comble du cyclotouriste…  Bien que nos « bienfaiteurs » nous aient déposés au centre de la ville, il nous faut tourner pendant plus d’une heure, pour trouver enfin une auberge convenable. Nous virons de guesthouse en guesthouse, les gérants nous renvoyant systématiquement sur leurs chambres les plus chères. « Mais vous avez bien un dortoir ? » – « Oui, mais il ne me reste qu’un lit ! » – « Ben voyons, on ne la connaît pas celle-la… » Finalement, nous capitulons avec une chambre à 8 euros, certes tout confort.

Le lendemain matin, Mr Routenvrac s’enquiert de bonne heure à sa tâche mécanique. Vraisemblablement, au Laos, il y a pneu et pneu. Cadivrac devra effectuer un véritable petit périple pour être à nouveau sur ses deux roues. Mr Routenvrac revient à l’auberge, éreinté mais satisfait du résultat.

Nous profitons de notre après-midi pour visiter la ville et effectuer des recherches pour les jours à venir. Nous avons prévu une virée sur le plateau de Bolaven en moto pendant trois jours.

De magnifiques paysages et des poussières

Pour la première fois, nous abandonnons nos deux montures pour trois jours. Cette courte séparation devrait nous faire du bien à tous. Cadivrac et Culdesac, vélos citadins, nous semblent parfois fatigués de tant de voyage et nous ne tenons pas à les malmener au point de non retour. Attachés à eux, nous espérons vivement pouvoir les rapatrier en France. Nous les sommons de surveiller nos gros sacs et enfourchons notre moto, Mr Routenvrac aux commandes, emportant avec nous le strict minimum.

En trois jours, nous découvrons, émerveillés, le plateau de Bolaven et ses somptueux paysages, ses routes de terre rouge, ses champs de café, ses villages, ses cascades, ses animaux sauvages,… Nous empruntons de grandes routes tantôt bitumées, tantôt terrassées prêtes à recevoir le goudron, croisant tracteurs, camions et motocyclettes. Nous sommes surpris de la consommation minimale de notre véhicule et nous offrons ainsi un véritable parcours sportif, n’hésitant pas à nous faufiler au milieu des sentiers, tenter quelques chemins dont l’issue semble douteuse, découvrant successivement quelques merveilles naturelles et rencontres avec les locaux.

Le soir, lorsque nous coupons le moteur et retirons nos casques, nous restons impressionnés devant le rouge terreux de nos visages. Sur le plateau, il fait bien plus frais que dans les villes, aussi pour la première fois depuis le sud du Vietnam, nous accueillons l’eau froide de la douche comme une sanction, contraints toutefois d’y passer un bon moment, brosse à la main pour retrouver notre couleur d’origine.

Cascades à moto

« Heureusement que nous n’avons pas pris les vélos » constate Mr Routenvrac. En effet, pour parvenir au plateau, il nous faut parcourir des kilomètres de dénivelés. Si les descentes sont rares et courtes, nous ne cessons de gagner en altitude, la fraîcheur pour preuve. D’ailleurs, à moto, nous profitons du vent frais tout autant que de la vitesse. Sur la route, régulièrement, de grands panneaux nous indiquent des cascades. Les chemins pour s’y rendre sont parfois chaotiques mais à moto, rien ne nous effraie. Dès les premières cascades nous en prenons plein la vue. Au cœur de la forêt, nous observons de grandes quantités d’eau se déverser sauvagement dans le vide avant de trouver impact dans un ruisseau, un trou d’eau, une rivière.

La rivière coule à sa guise, suivant les montagnes, descendant parfois tel un escalier, offrant de grands espaces de jeux aux enfants des villages environnants. Nous prenons plaisir à traverser les cours d’eau, sautant de pierre en pierre, au risque de finir les fesses dans l’eau. Insistants dans les sentiers perdus, incertains d’y trouver un plan d’eau à notre arrivée, nous sommes subjugués par un barrage hydraulique très artisanal. Des roues de vélo, des fils électriques, quelques bambous et planches de bois, de la tôle,… De quoi certainement alimenter tout un village.

A chaque entrée de cascade, c’est la surprise. Paiera-t-on, ne paiera-t-on pas ? Cela dépend tout simplement de la volonté d’un individu de se poster à l’entrée du chemin menant au point de vue de la cascade. De 5.000 à 20.000 kips, en ajoutant 3.000 pour le parking, les taxeurs se font un peu d’argent au milieu de nulle-part. Devant la multitude de cascades, il nous arrive de temps à autre, de zapper la vue, jugeant qu’elle n’en vaut pas une autre. Voilà la dure réalité du tourisme, en confrontation perpétuelle avec ce sentiment qu’est le notre : la nature n’appartient-elle pas à tous pourvu que nous en prenions soin ?

Tad Lo pour baigner les éléphants

Une centaine de kilomètres et de nombreuses découvertes plus tard, nous finissons notre première journée à Tad Lo. « Laisse-moi prendre une photo ! Ils sont superbes. Je n’en ai jamais vu ailleurs qu’au zoo ! » s’extasie Mlle Cartensac devant deux éléphants, au bord de la cascade de Tad Lo. « Tu pourras les prendre en photo quand tu veux, nous dormons ici. Mais pour le moment, on cherche une auberge. »

Accompagnés de Nathalie et Xavier, nos nouveaux compagnons rencontrés sur place autour d’un plat de riz, nous marchons en quête d’une bonne affaire et comme toujours, en cherchant, on trouve ! Installés dans nos chalets respectifs, nous repartons tout excités à l’idée de nous baigner au cœur de la cascade avec les enfants laotiens. Ceux-ci nous fascinent. Alors que nous tâtonnons dans l’eau pour ne pas glisser ou nous prendre un rocher, ils s’élancent du bord, effectuent des saltos, se jettent dans les rapides, semblant rebondir sur l’eau. Parfois pris dans un courant, sous notre regard tout d’abord inquiet, ils se laissent entraîner par quelques cascades, se rattrapent au hasard d’un rocher, remontent en courant sur des pierres qui nous sont invisibles et se jettent à nouveau dans un trou d’eau, hilares… Tandis que les jeunes garçons, vêtus de leurs jeans ceinturés trempés, commentent leurs sauts périlleux, les jeunes filles s’immergent calmement dans la rivière, un panier à la main contenant savons et shampooing et entreprennent leur toilette collective. Nous-mêmes tout habillés afin de ne pas contraster avec ce superbe moment de partage de la rivière, nous finissons par sortir pour nous sécher. A ce moment, trois éléphants reviennent de leur balade, montés par des touristes. Arrive le grand moment. Celui que nous n’attendions pas mais que de nombreux touristes sont venus spécialement admirer : le bain des éléphants. Alors que tous les enfants se sont extirpés de la rivière, les trois éléphants s’en approchent à pas lourds, montés chacun par un laotien, fiers comme des ducs. Sous nos yeux ébahis, les éléphants entrent un par un à l’endroit précis où nous nous sommes baignés. Un coup de sandale sur la tête, l’animal est obéissant et prend un plaisir monstre à s’exécuter : il plonge la tête en avant et s’immerge entièrement, remontant la tête de temps en temps, se laissant frotter à coup de claquette. Les touristes mitraillent la scène tandis que nous profitons pleinement, de nos propres yeux, l’appareil photo nous faisant défaut. « Et bien pour une fois, on n’en ratera pas une miette ! » Mlle Cartensac tout de même déçue de ne pouvoir immortaliser cet étonnant moment, décide d’aller négocier quelques clichés auprès d’une jeune photographe. « Je suis désolée de vous ennuyer mais pourriez-vous m’envoyer quelques photos par mail ? Cela m’ennuierait de ne pouvoir les faire partager sur notre site internet. » « Au contraire, avec plaisir » lui répond la jeune australienne. « Je suis moi-même passionnée par les photos et cela m’aurait vraiment déplu de rater ce moment. » Nous n’avons toujours pas reçu la moindre photo! Au bout d’un quart d’heure, le bain est terminé. Les éléphants sont invités à se hisser hors de l’eau. Leur pas est lent mais sûr, ils grimpent sur les rochers et en quelques instants se retrouvent hors de l’eau, laissant derrière eux une rivière remuée et boueuse. Les enfants, peu préoccupés par la couleur de l’eau, n’attendent pas un instant et se jettent à nouveau à bras le corps dans ses eaux. Amusés, enchantés par cet incroyable spectacle, nous ramassons nos affaires et engageons une petite promenade autour du village.

Tad Lo est un point de rencontres pour les touristes venus visiter le plateau de Bolaven. Nous sommes surpris de croiser autant de français mais profitons de cette occasion pour passer une soirée très sympathique. L’outil Cartensac sera une fois de plus plébiscité, créant de nouveaux émules prêts à nous l’acheter. « C’est une super idée ! Nous, on a un jeu de cartes et on s’ennuie vite à jouer toujours aux mêmes jeux ! » Une nouvelle occasion d’ajouter deux nouveaux jeux à notre répertoire.

La moto a disparu

A notre retour au bungalow, c’est la panique ! « Qu’est-ce que tu as à tourner en rond ? » questionne Mlle Cartensac. « Je commence à m’inquiéter. J’ai fais trois fois le tour de l’auberge et je ne retrouve pas la moto… » – « Oh oh… » Xavier et Nathalie nous aident dans nos recherches. « Xavier, tu veux bien faire un tour avec Rémi sur ta moto s’il te plaît ? Si quelqu’un l’a embarquée, il n’a pas pu aller bien loin… » tente de se rassurer Mlle Cartensac. « Sauf s’il l’a embarquée dans une camionnette » rétorque Xavier. « Oh la galère, c’est pas vrai ! Il fallait que ça nous arrive à nous » rage Mlle Cartensac en observant que les autres motos n’ont pas bougé. Malgré l’heure tardive, elle décide d’aller trouver les gérants. « Après tout, la moto était garée chez eux, ils vont chercher avec nous. »

« Excusez-moi » répète-t-elle à trois reprises devant la moustiquaire familiale, tentant de réveiller l’homme ou la femme, au choix. « Notre moto ! Elle a disparu ! » L’homme émerge. « Moto ? A l’intérieur, la moto. » – « Comment ça à l’intérieur ? Vous pouvez me montrer ? » L’homme se lève, titube jusqu’à son garage et, se frottant les yeux, tend le bras vers le fruit de notre embarras… « Oh merci ! Merci beaucoup ! Mais vous devriez prévenir quand vous faites ça… » L’équipe d’explorateurs déboule alors dans l’auberge, chacun souhaitant voir l’engin de ses propres yeux. « On va peut-être les laisser dormir maintenant… » – « Et en faire autant » rajoute Mr Routenvrac à nouveau serein après ce moment de pure panique.

La maison du Café

Mlle Cartensac amatrice de café et Mr Routenvrac curieux dans l’âme, nous avons tous deux été comblés par notre découverte dans l’univers du café. En parcourant le plateau, il est impossible de ne pas s’intéresser aux champs de café qui entourent les routes de part et d’autres. Nous avons ainsi pu observer l’arbre fleurir et ses feuilles à l’apparence fanées, ses grains rouges mûrir. Puis, dans les jardins des cultivateurs, le grain récolté et étalé au sol, séchant au soleil, encadré par de grandes barrières. Désireux d’en apprendre davantage, nous nous sommes permis de cueillir l’une de ces graines, de l’ouvrir, parvenant ainsi à en percer le secret. Nous découvrons au cœur de la coque, deux grains de café. C’est à ce moment-là que nous entrons en jeu.

« Homestay Café » lit Mr Routenvrac. « Ca me dirait bien, moi, de savoir comment on fait du café. » – « Alors on y va » confirme Mlle Cartensac. Lorsque nous pénétrons dans le jardin, pas un signe de vie ne nous incite à continuer. Toutefois, nous poursuivons jusqu’à l’entrée de la maison, où nous garons la moto. « Y-a-t’il quelqu’un ? » interrogeons-nous. Dès l’entrée de la cuisine, nous respirons le café comme l’âme de la maison. Un homme, australien, semble tout juste démarrer sa journée. Accompagné d’une femme laotiene, il discute, manipulant les grains, puis prenant en main une cafetière italienne, nous propose de nous faire du café frais. « Volontiers » accepte Mlle Cartensac. L’homme est quelque peu distant mais nous comprenons rapidement sa posture par l’attention qu’il porte aux grains de café qu’il s’apprête à travailler. Aussi, après quelques échanges et une tasse de café accompagnée de quelques cacahuètes, nous n’hésitons pas et nous mettons les mains au grain.

Piler le café, c’est comme piler le riz : il faut s’armer de patience et de force pour soulever le pilon et frapper les grains de sorte à séparer les écosses, en prenant garde de ne pas les broyer. Nous nous relayons plus par plaisir que par fatigue. Une fois ce premier travail accompli, muni d’un panier faisant office de tamis, nous envoyons en l’air les grains de manière à séparer les écosses qui, plus légères, s’envolent dans les airs et retombent au sol.

De peur de voir s’échapper tous les grains, nous ne parvenons pas à effectuer le mouvement correctement. Aussi, laissons-nous l’australien reprendre la main avant que celui-ci demande à la jeune femme de terminer le travail. « Pour moi aussi c’est difficile d’attraper le coup de main » explique-t-il. Amateur de café, il s’est pris de passion pour le métier et vient régulièrement aider cette famille qu’il considère à présent comme la sienne, depuis 10 ans. Finalement, la femme repose le tamis sur la table. Quelques grains ne sont pas écossés, nous devons donc finir le travail grain par grain. Nous en profitons pour rejeter les grains trop petits qui risquent de brûler à la cuisson ainsi que les grains cassés.

« C’est l’heure de la torréfaction » nous annonce-t-il ; semble-t-il son moment préféré, l’instant où le café prend toute sa saveur. « C’est le moment de choisir si l’on veut un café plutôt fort ou plutôt doux, de jouer sur les arômes… Plus on le laisse cuire, plus il sera fort. Nous avons affaire à un véritable passionné. Il est important pour lui de nous expliquer qu’ici, contrairement à beaucoup d’autres récoltants, le café est trié au grain : trop petit ou abîmé, il est extrait de la récolte. « Nous ne sélectionnons que le meilleur pour nos clients. » Notre hôte met le feu à chauffer. « Tout de même, ce serait plus facile si nous avions du gaz… Là, je dois systématiquement veiller sur la braise afin que le foyer soit bien chaud » dit-il avant de poser son wok sur le foyer.

Il verse alors les grains dans son récipient et, muni d’une spatule, commence un mouvement lent et délicat : remuer le café sans cesse pour s’assurer que tous les grains cuiront à la même intensité sans jamais griller. Assis devant son feu, il s’arme de patience et nous parle lentement, à l’allure où son café dore. « Est-ce que vous torréfiez vous-mêmes le café tous les jours ? » – « Pas toujours mais pour ma consommation personnelle et certaines commandes spéciales, j’aime le faire moi-même ». Quelques crépitements, le café passe de sa couleur verte à marron, puis vire au noir.

« Voilà, j’aime quand il atteint cette couleur » dit-il avant de retirer son wok du feu. Il verse à nouveau les grains dans le tamis afin de faire descendre leur temperature, apparemment satisfait. Alors que dans le jardin, la famille poursuit le travail d’écossage, l’australien remet une tournée au feu. Il est temps pour nous de reprendre notre route. Nous le remercions pour cette riche leçon. Lorsque nous lui remettons un billet pour cet accueil et cette leçon, il nous demande simplement de le remettre à l’homme de la maison. Celui-ci nous remercie à son tour. Mlle Cartensac, avec l’accord du torréfacteur, choisit quelques grains, qu’elle glisse dans son sac, emportant avec elle l’odeur délicieuse qui se dégage de cette maison du café.

Bus VIP pour la capitale

Après trois jours d’un doux voyage vallonné, nous rentrons à Paksé, laissant la moto effectuée ses derniers kilomètres sur une route bitumée, croisant au passage un bus renversé, retrouvant petit à petit un air plus chaud, une route plus plate. Nous troquons à nouveau notre moto contre nos vélos et nos sacs et nous rinçons au mieux au robinet qui nous est mis à disposition. Recouverts de terre rouge, il nous faudra faire avec.

Ce soir, nous dormons à bord d’un bus VIP dont les couchettes, loin d’être ordinaires, donnent à première vue l’impression d’entrer dans un hôtel roulant. Aussitôt la première enclenchée, nous comprenons que ce sera plutôt la piste de danse de l’hôtel… Secoués en tous sens, la nuit ne sera pas d’un doux repos. Demain matin, nous serons à Vientiane, capitale du Laos.

Retrouvez l’album complet ici !

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