Phnom Penh tragique, Battambang atypique

Sur la route de Phnom Penh, ce matin du 11 février, nous échangeons nos impressions, nos émotions, sur la formidable aventure que nous venons de vivre au sein de l’organisation O.O.O. Forts de cette expérience, nous pédalons à destination de la capitale cambodgienne, emplis d’un réel désir de découverte afin de comprendre l’histoire de ce pays dont on nous a tant parlé. A 14h, après 78km de route, nous faisons notre entrée dans son avenue principale. « Allez, encore un peu de courage, il faut qu’on trouve une auberge » réclame Mr Routenvrac à sa coéquipière qui semble trouver sa monture de plus en plus lourde. « Tu as raison. En route ! Je me reposerai quand on sera enfin posé… » Nous élisons domicile à Okay guesthouse, dans une chambre modeste, donnant accès sur un petit balcon. La moustiquaire est à présent devenue indispensable. Notre lessive ne pouvant plus attendre, nous nous mettons aussitôt au boulot. Nos équipements lavés et étendus, nous partons à la découverte de la ville.

Achat XXL

Il est temps pour Mlle Cartensac d’acquérir un short. Nos habits chauds sont enfermés depuis un bon moment dans nos sacs de compression et il est moins évident qu’on ne l’eut pensé de trouver habit d’été à notre taille ici. « Donnez-moi la taille double XL s’il vous plait, qu’on en finisse ! ». La vendeuse fouille et farfouille au milieu des shorts de toutes tailles et couleurs et trouve enfin notre bonheur. Un vrai short d’aventurière. Derrière son rideau improvisé, Mlle Cartensac soupire de satisfaction. Enfin les jambes à l’air !!!

Nous l’avons constaté dans tous les pays asiatiques, le marché est le lieu idéal pour se laisser aller à la rencontre locale, culturelle et culinaire. Après un copieux boboun, salade cambodgienne savoureuse, nous partons fouiner entre les étales du marché et dénichons un « indiaka », jeu traditionnel de passe et d’adresse asiatique.

Après deux semaines de flirt avec la campagne cambodgienne, nous avons pris suffisamment de recul pour supporter l’aspect touristique de Phnom Penh, toutefois loin d’être comparable avec d’autres mégapoles traversées. Aussi, sommes-nous décidés à visiter deux musées indispensables à la compréhension de la culture et de l’histoire du Cambodge : le musée national ainsi que Tuol Sleng, plus communément connue sous le nom de Prison S-21.

Shiva au musée national

Le musée national est situé tout près du palais royal, non loin de notre auberge. Nous sommes agréablement surpris par le calme qui se dégage de ce lieu sans doute en raison de l’aménagement des différents espaces. Les quatre pavillons sont entourés d’un somptueux jardin où statues et bassins d’eau profitent du soleil et de zones ombragées. Nous découvrons des collections de sculptures Khmères, des pièces de bronze et de poterie datant pour certaines de périodes Angkoriennes mais également de pièces récentes appartenant à la famille royale. Nous faisons connaissance avec un grand nombre de divinités bouddhistes : Vishnu, Shiva, les gardiens singes,…

Tuol Sleng, prison S-21

La boule au ventre, telle une promesse que nous nous sommes faites, ce lundi 13 février, nous enfourchons nos vélos et parcourons la ville jusqu’à longer les murs de l’enceinte du musée Tuol Sleng. Devant la porte d’entrée, nous passons près de quelques attroupements de cambodgiens. On nous indique le guichet. Billets en main, nous entrons avec appréhension.

Contexte historique

Le 17 avril 1975, les forces armées de Pol Pot, leader des Khmers Rouges, prennent le contrôle de la ville. La révolution Khmer Rouge est lancée. La ville de Phnom Penh ainsi que les provinces alentours sont évacuées. Ville fantôme, Phnom Penh est livrée aux seules mains des révolutionnaires qui saccagent alors tous les symboles de la bourgeoisie. Les cambodgiens sont triés en trois classes : les militaires sont exécutés, les intellectuels sont envoyés dans des « villages spéciaux » et le « peuple » est expédié dans les campagnes. Plus de 2,5 millions de personnes, qu’elles soient valides, malades ou handicapées sont envoyés de force dans les rizières pour se mettre au travail dans le but d’assurer l’autosuffisance du « Kampuchéa démocratique ». Les hôpitaux sont aussitôt interdits d’accès, les médicaments réservés aux combattants (nom donné aux révolutionnaires), et les médecins traqués pour cause d’appartenance à la bourgeoisie. Cloisonnés dans des campagnes dont ils n’ont pas l’habitude, face aux conditions de travail de 10 à 15 heures par jour, en proie au soleil, aux maladies, à la faim, les citadins sont condamnés à brève échéance.

« Dans ce village, comme dans l’ensemble de notre société nouvelle, nous vivons selon un système communautaire et partageons tout. Il n’y a pas de propriété privée. Animaux, terres, jardins et même maisons, tout appartient à l’Angkar. Si l’Angkar vous soupçonne d’être un traitre, nous viendrons chez vous et nous fouillerons partout. L’Angkar vous fournira tout ce dont vous avez besoin. Vous, les membres du nouveau peuple, vous prendrez vos repas en commun. Les repas seront servis de midi à deux heures et de 6 à 7 heures du soir. Si vous arrivez en retard, vous n’aurez rien. Votre nourriture sera rationnée : plus vous travaillerez dur, plus vous mangerez. Chaque soir, après le dîner, je vous ferai savoir s’il y a réunion. Les hommes de la base et nos camarades soldats surveilleront votre zone de travail ; s’ils voient que vous négligez vos devoirs et signalent que vous êtes paresseux, vous n’aurez rien à manger. » Extrait de D’abord, ils ont tué mon père, de Luong Ung.

Le libre arbitre n’est plus, l’idée étant de construire une nation marchant à l’unité, tous égaux. Les slogans sont très clairs et les idées mises en action, les temples, pagodes et institutions scolaires sont détruits, parfois transformés en prison. Enfants, hommes et femmes sont séparés, tous réduits à l’esclavage.

« Dans notre société, les enfants n’iront pas à l’école pour encombrer leur cervelle d’informations inutiles. Si nous les faisons travailler dur, ils auront des esprits aiguisés et des corps agiles. L’Angkar ne tolère pas la paresse. Travailler dur, c’est bon pour tout le monde. Tout enseignement, de n’importe quelle nature, donné par qui que ce soit sans l’approbation du gouvernement est strictement interdit. » Extrait de D’abord, ils ont tué mon père, de Luong Ung.

Les combattants bénéficient de quelques privilèges : double ration de nourriture, accès aux médicaments,… Pour cause, ils ont choisi d’intégrer la révolution et ainsi, ont accepté de sacrifier leurs familles pour l’Angkar, l’organisation suprême des Khmers rouges. Toutefois, nul d’entre eux n’est protégé du risque fréquent de se voir suspecté de trahison et ainsi, de se retrouver projeté parmi les des victimes à leur tour.

Considéré ennemi de la révolution, de nombreux cambodgiens sont envoyés en centre de détention, soupçonnés à tort d’avoir conspiré contre les Khmers rouges. Parmi eux, les intellectuels, les médecins, les étudiants, les jeunes aux cheveux longs, toute personne susceptible de connaître une langue étrangère, ou parfois même coupable d’avoir entonné une chanson sur le lieu de travail, d’avoir discuté avec un camarade,… Torturés durant des heures, des jours, voire des semaines pour avouer toute sorte de crime ou de conspiration, ils sont ensuite conduits au centre d’exécution de Choeung Ek, plus connu sous le nom de Killing Fields.

A l’instar des nazis, les leaders de la révolution Khmer Rouge, ont commandité des actes de barbarisme inimaginables. Le nombre de morts durant les trois années qui suivirent est encore inconnu. On parle de plus de 2 millions. C’est ainsi que l’école Tuol Svay Prey de Phnom Penh fut détournée en plus grand centre de détention et de torture de tout le pays : la prison S-21. Plus de 17.000 cambodgiens y périrent entre 1975 et 1979. Lorsque les Vietnamiens entrèrent à Phnom Penh pour délivrer la ville, il n’y restait plus que 7 survivants. Parmi eux, Vann Nath, peintre, avait été embauché par les Khmers rouges pour illustrer leurs actes en peinture, celles-ci étant exposées aujourd’hui au sein-même du musée.

L’école est finie

Lorsque nous pénétrons dans l’enceinte des bâtiments, nous sommes aussitôt envahis par un sentiment de douleur. A peine plus de trente ans nous séparent de ces crimes commis dans des murs qui aujourd’hui encore sont marqués du sang des prisonniers.

Au rez-de-chaussée du premier bâtiment, nous découvrons avec horreur les lits et ustensiles de torture, les salles ayant été conservées en l’état. Les pièces à l’étage, initialement salles de classe sont vides. Les peintures fixées au mur sont là pour témoigner : cellules collectives, des dizaines de prisonniers étaient allongés, les uns collés aux autres, pieds ferrés. Sur les tableaux d’école, on peut encore lire quelques coups de craies, rappelant les règles d’ordre et de silence.

Dans le deuxième bâtiment, nous traversons de longs couloirs ; de chaque côté, des cellules individuelles, sommairement construites de brique et de bois, très étroites. Dans le bâtiment suivant, la réalité nous saute aux yeux. Nous nous perdons dans des murs de photos en noir et blanc. Toutes les victimes étaient photographiées avant et parfois même après avoir été torturées. Les visages de femmes, d’hommes, d’enfants semblent nous fixer avec peur, lassitude, horreur,… Plus loin encore, nous découvrons avec stupeur, les témoignages de plusieurs membres des khmers rouges, ayant participé aux tortures. Pour la plupart, des jeunes, âgés de 14 à 20 ans, ils racontent ce qui les a poussés à rejoindre la révolution, parfois à l’encontre de la volonté de leurs parents. Certains jugés puis emprisonnées durant 3 ou 4 ans, ils ne regrettent rien. « Si je n’avais pas fait ça, je serais sans doute mort. Je voulais manger à ma faim. »

Nous visionnons un reportage au cours duquel nous découvrons la vie de Bophana, une jeune cambodgienne victime de cette atrocité : son histoire d’amour, sa vie de femme, celles de ses amies, de sa famille,… Les vies se croisent et s’entremêlent. Apparaissent des anciens gardes de la prison, Vann Nath, le peintre,… Tous se souviennent avec effroi.

En quittant le musée de Tuol Sleng, nous passons devant un panneau : les dirigeants du parti démocratique Khmer Rouge. Leurs visages sont ainsi affichés dans la cour. L’une d’entre elles nous interpelle plus encore : Leng Thirith, ministre de la culture et des affaires sociales… Certains de ces hommes politiques, malgré toutes ces atrocités, ont su trouver siège à l’ONU durant plusieurs années, d’autres ont eu la chance de mourir dans leur lit sans avoir le temps d’être jugé. Il est parfois difficile de comprendre les enjeux géopolitiques qui conduisent à de telles situations. Nous ne pouvons que comprendre l’importance pour les jeunes générations cambodgiennes, malgré ce terrible sentiment d’injustice, de faire acte de mémoire.

Après cette épuisante épreuve, nous ressentons le besoin de nous promener dans la capitale pour nous aérer les idées. Culdedac et Cadivrac prennent la chose au sérieux. Ils nous conduisent au marché où nous nous offrons quelques fruits et autres friandises que nous savourons à la terrasse d’un café. Nous ne regrettons pas notre passage par Phnom Penh. Nous en avons fait le tour, parcouru son bord de rivière, savourer ses petits plats délicieux, découvert son histoire et le tout dans un cadre toujours aussi chaleureux.

Bim Bam Battambang !

Ce mardi 14 février, nous nous levons de bonne heure. Nous avons rendez-vous à 6h15 devant l’hôtel pour embarquer en bus à destination de Battambang. Malgré un peu d’attente, nous sommes heureux de découvrir que nous ferons le court trajet pour la gare routière, en tuc-tuc ! « Chouette, je n’en avais jamais pris ! » s’exclame Mlle Cartensac. Cette petite ballade aérée nous offre l’occasion de prendre quelques derniers clichés de monuments.

Le soleil brille derrière la vitre du bus et nous ne nous lassons pas d’admirer les paysages cambodgiens. Finalement, le sommeil nous attire et nous profitons d’une petite sieste avant notre arrivée sur place. Une petite heure de recherches parmi les hôtels du centre ville et nous voilà emménagés à l’hôtel Paris. Ne vous méprenez-pas, nous n’avons pas viré vers les hôtels 3 étoiles. Toutefois, notre chambre, pour 5 dollars, est assez confortable.

Notre venue à Battambang n’a pas été décidée par hasard. La ville est réputée pour ses activités atypiques et nous avons bien envie de nous y tester. Malheureusement, il nous faudra compter sans le cours de cuisine Khmère. Le cuisinier n’est pas intéressé pour enseigner à deux seuls touristes. « C’est tout de même dommage » marmonnons-nous avant de nous éloigner. Nous nous imaginions déjà faire nos courses au marché et passer la matinée les mains dans l’huile d’une cuisine cambodgienne… Tant pis, nous passons tout de suite au plat de résistance : le bamboo train !

En roue libre

« Ca m’a l’air quand même très touristique. Ca m’ennuie un peu de mettre 5 dollars là-dedans. Juste pour faire 7km… » se tate Mr Routenvrac. Au Cambodge, les lignes ferroviaires ne transportent plus de passagers. Les rails sont d’ailleurs en très mauvais état. Toutefois, cette petite portion de ligne, construite par les français lors de la colonisation, est aujourd’hui utilisée par des Bambou train : une plateforme en bambou posée sur deux essieux. Autrefois utilisé pour le transport de marchandises, il est aujourd’hui essentiellement exploité pour amuser les touristes. Et honnêtement il y a de quoi. Une fois décision prise, nous prenons place à l’avant de notre machine. Le conducteur s’installe à son tour et, tirant d’un grand coup en arrière sur la ficelle, met en route le moteur. Dans un vacarme impressionnant le bambou se lance à toute allure !!! Dès les premiers mètres, nos premiers fous rires nous attrapent. La plate-forme semble sauter à chaque écart de rail, nos fesses amortissant les coups avec violence. « Je n’aurai jamais imaginé que ça puisse aller si vite ! » hurle Mlle Cartensac à Mr Routenvrac. « T’as dit quoi ? » – « Rien ! » Nos sourires ne nous quittent plus. Nos regards se perdent droit devant nous, sur les côtés, sur les rails, dans les fossés… « C’est quand même impressionnant ! » Devant notre excitation, le conducteur est franchement amusé.

« Ca y est ! On va croiser quelqu’un ! » Un autre bambou train vient dans notre direction. Au bout de quelques mètres, nous ralentissons, jusqu’à nous trouver nez à nez avec notre confrère. Ici, les règles sont simples : courtoisie, raison de l’âge, nombre de passagers,… Il faut que l’un des deux bambou cède place à l’autre. Cette fois-ci c’est l’âge qui prendra le dessus. « Vous êtes jeunes » s’amusent nos collègues en nous voyant descendre. Les deux conducteurs se mettent au boulot, déscendent notre plateforme et nos essieux, font passer l’autre bambou train et remontent aussitôt notre bolide. « Allez ! On y retourne ! » Il nous faudra en moyenne effectuer cette manœuvre 4 à 5 fois par trajet. « Tu imagines l’été ? Ce doit être éprouvant pour les conducteurs… »

Bamboo train à fond la caisse par r2mica

Au bout de 7km, nous stoppons. Une petite fille de 8 ans nous attend, décidée à nous faire faire le tour de son village. « Je vais vous emmener à l’usine de riz. » En chemin, nous discutons. Son anglais nous impressionne. Nous l’interrogeons sur ses activités, son école. « Plus tard, je voudrais être professeur de cambodgien ! » Et bien, ça nous parait plutôt bien parti. De retour à la station de bambou train et après plusieurs refus de consommer sur place, nous parvenons enfin à reprendre notre route. « Et c’est reparti ! » Toujours aussi joyeux, nous retrouvons nos impressions entre vitesse et frayeur.

« Le vin pour les nuls » Edition du Cambodge

Plan très schématisé en main, à la cambodgienne dirons-nous, nous découvrons les alentours de Battambang. « J’irais bien par là, il y a des vignes apparement ». Qui dit vignes, dit vin. Ça, on peut dire que c’est atypique, on y va!

Cul de sac et Cadivrac apprécient particulièrement les routes cambodgiennes, terreuses et poussièreuses, nous évitons au maximum le goudron. D’ailleurs il n’y a rien de tel pour rencontrer les habitants, croiser de nouvelles scènes de vie. Par contre, on roule, on roule mais où sommes-nous ? Quelques ponts suspendus et demi-tours plus tard, nous apperçevons les vignes. Plutôt discrètes, de chaque côté de la route, elles offrent un changement de décor radical. « Tu veux les visiter ? » questionne Mlle Cartensac. « Ben je voudrais plutot goûter » corrige Mr Routenvrac.

Nous sommes accueillis par un couple de français en pleine dégustation accompagné de leur guide et de la gérante des lieux. Nous nous laissons tenter par la formule complète vin-cognac-jus de raisin et de gingembre. Le vin n’a rien d’exceptionnel et la bouteille ne mériterait pas son prix de 15$ dans notre pays. Ne soyons pas trop chauvin, il n’a pas mauvais goût et son histoire est incroyable. Les producteurs ont tout appris de l’oenologie dans un livre: de la plantation à la vinification. Nous saluons le mérite et restons prudents au moment de déguster le cognac… Que nous ne finirons pas. Culdesac et Cadivrac ne nous l’auraient sûrement pas pardonné sous ce soleil de plomb !

De retour à notre hôtel, nous nous couchons, prêts et impatients de la journée qui nous attend. Nous remonterons la rivière Sangker jusqu’à Siem Reap: 10h de bateau pour atteindre la cité des temples d’Angkor.

Retrouvez l’album complet ici

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